Vous connaissez peut-être cette chose sourde, qui vous prend aux tripes, parfois dès le réveil, parfois au cours de la journée dans un moment de creux, parfois le soir, quand tout est calme. Je la connais aussi, elle aura été une compagne de route durant de longues années. Épuisante. Comment s’en défaire ? En vivant. Explications autobiographiques.
Le sport ou la drogue contre l’angoisse
J’ai commencé à vraiment souffrir d’angoisse aux alentours de mes 30 piges, après avoir été un consommateur assidu de cannabis durant quelques années. Les crises ont commencé lorsque j’ai arrêté de consommer.
Avant cela, si j’ai toujours été à me poser des questions sur pas mal de sujets, je savais m’arrêter et profiter de la vie, de ce que j’avais, même si ce n’était pas grand-chose, au moins j’avais déjà cela.
Et j’ai perdu cela dans les volutes des soirées et des nuits teintées de cannabis. Ho certes, j’ai ouvert des portes dont je n’imaginais pas l’existence, j’ai trouvé des réponses inattendues et je me suis découvert, moi.
Je crois que j’avais besoin de cela sur mon chemin de vie. Avant le cannabis, c’était le sport qui me servait de point d’équilibre. Puis je suis arrivé à un moment où j’en avais ma claque de me frapper 3 entrainements intensifs par semaine, été comme hiver.
La peur reçue par l’éducation
J’avais une vie très sage, peut-être trop. Je ne buvais pas (ou peu) d’alcool, je me couchais tôt, je sortais rarement. En fait, j’avais reçu une éducation tellement stricte, que les excès me faisaient peur. Terriblement peur, sans que je sache pourquoi.
En prenant un peu de recul, j’ai été éduqué avec la peur. La peur de la mauvaise note, la peur des autres, la peur des étrangers, puis la peur du patron, la peur des collègues, la peur de la vie. La peur.
Et il m’a aussi été inculqué que tout bonheur, aussi infime soit-il doit se payer au prix fort. Il ne sert donc à rien d’être heureux, car cela va se payer, cher, parfois très cher.
Voilà avec quoi j’ai grandi. La peur de tout. Et donc, surtout ne pas faire de vague, surtout ne pas me faire remarquer, trouver un boulot et m’y accrocher de toutes mes forces, parce que pour des gens comme nous (des pauvres), avoir un boulot, c’est une chance presque inespérée.
La question du sens de la vie
Arrivée à 20 ans, avec un boulot pas trop mal et une petite amie avec qui j’étais depuis quelques années, je me sentais déjà vieux, rincé, et surtout, sans trop de perspectives. Qu’avais-je donc à découvrir de la vie si tout était si noir, si sombre et si terrible.
Et pourquoi m’avoir mis au monde si c’était pour que je vive cela ? Quel était le but du truc ?
J’étais un peu paumé en réalité. D’un côté, l’envie de découvrir qui j’étais au-delà de ce que ma propre mère pouvait me dire de moi, et de l’autre, une trouille sans nom de la vie.
Cette chape de plomb me pesait tellement lourde, que je ne voyais pas comment m’en défaire.
Alors, quand j’ai découvert l’effet du cannabis sur mon cerveau, ce fut une révélation. On peut donc penser autrement ? On peut donc voir le monde autrement ? Ah ?!
Alors j’ai été voir. J’ai commencé à faire le con, à multiplier quelques conquêtes, à sortir la nuit, à trainer en boite, à jouer de la percussion dans la rue avec des potes, à fumer mon pétard dans la rue, au boulot.
En réalité, j’ai déconstruit tout ce que j’avais construit. Le boulot, la petite amie, la vie sage, j’ai tout renversé posément.
Et puis, je me suis retrouvé comme un con. Mon corps et mon esprit ont dit stop. Et c’est là que les angoisses commencèrent à me pourrir la vie sérieusement.
Autant, avant, je me posais des questions existentielles, mais je ne ressentais pas plus d’angoisses que cela (ou alors, je n’en ai pas le souvenir). Et au passage, j’ai perdu la confiance en moi. Bad trip.
La sensation de mourir, encore, et encore, et encore
Autant, quand il fallut arrêter la drogue, là, j’ai pris cher. Et bien comme il faut. J’ai passé des années à vivre dans la peur de la prochaine crise d’angoisse. C’était vraiment pénible, car cela revenait de façon quasi quotidienne. Et même pour une drogue dite “douce”, bah il faut du courage pour ne pas retomber, durant des mois, c’est un sacré combat. Tout comme ne pas tomber dans les antidépresseurs.
Parce que, pour ceux qui ne connaissent pas, une crise d’angoisse, c’est une perte complète des repères et de la réalité, c’est une émotion brute qui vient vous frapper, et qui ne vous parle que d’une chose : la mort. Point.
Vous avez pendant quelques minutes ou quelques heures cette sensation que vous allez y passer. Et vous avez la sensation que vous ne pouvez pas reprendre le dessus sans l’aide d’un cacheton.
La peur que cela recommence
Et puis, quand cesse la crise, très vitre revient la peur d’une nouvelle crise. Alors, vous vivez en essayant de vous protéger. Et plus vous vous protégez, plus vous êtes à la merci du truc. Et forcément, il vous revient en pleine gueule.
Oui, la crise d’angoisse est un putain de fléau. Seulement, ce que l’on ne veut pas croire, c’est que c’est nous même qui créons tout cela.
L’angoisse est une peur que l’on n’arrive pas à nommer. Et face à cela, il existe deux solutions. Soit chercher à la nommer à tout prix, et y parvenir. Soit lâcher l’affaire complet.
Dans le premier cas, si l’on n’arrive pas à trouver ce que nous pensons être la source de l’angoisse, ça va aller de pire en pire. L’angoisse va monter, monter, et encore monter, et nous allons finir par croire que nous sommes l’angoisse.
C’est épuisant, parce que même quand on va bien, même quand on commence à réussir, on s’inquiète ! On s’inquiète de ne pas être angoissé.
Et quand revient la crise, voilà, c’est normal, c’est ça, je le savais, je suis un angoissé. Pourtant, qu’est-ce que j’en ai marre, et j’en peux plus. Mais sans mes angoisses, je suis quoi, je suis qui ?
Vous le voyez le truc qui tourne en boucle non-stop ? Moi, oui, et pour l’avoir vécu, putain, ce que c’est chiant !
Le bénéfice caché de la crise d’angoisse
Quand on en est là, remonter la pente, c’est gravir une montagne enneigée en tong, short et t-shirt. Autant dire que ça ne fait pas envie. Et que l’on ne s’en sent pas capable du tout.
Il nous faudrait bien accepter la seconde solution : lâcher l’affaire ! Seulement, l’angoisse étant devenue une part importante de notre identité, l’envoyer chier, c’est aussi se perdre. Et se perde au profit de quoi, de quoi, qu’est-ce que l’on va devenir sans l’angoisse ?
L’air de rien, la chose est vicelarde ! Vivre une bonne crise d’angoisse procure quelques bénéfices cachés. Dans mon cas, c’était une façon d’attirer l’attention à moi, de recevoir un peu de compassion, de tendresse, des trucs qui m’ont terriblement manqué quand j’étais môme.
Faut pas croire, être le centre de l’attention, même quand c’est pour se faire secouer les puces, c’est toujours mieux que d’avoir la sensation d’être transparent, invisible et/ou inutile.
Se mettre dans un état d’anxiété est donc un très bon moyen pour attirer le regarde et la compassion des autres sur soi, au moins un temps. D’expérience, je peux vous dire que ça vous aller vite emmerder le monde, mais c’est un très bon moyen pour tester les gens.
L’angoisse, une vision, une croyance
C’est aussi une protection par rapport à la vie au dehors, parce que souvenez-vous : tout est un danger, et chaque petit bonheur se paie au prix fort.
Alors, être dans l’angoisse, c’est envoyer le message suivant à la vie : ok, j’accepte de payer le prix, regarde comme je souffre, regarde comme je suis mal, regarde comme je paie en avance, cela ne mérite-t-il pas un peu de bonheur ?
C’est un truc de taré ! Un gros truc de taré ! Parce qu’en réalité, tout ça, c’est une vision. Une simple vision. Et cette vision n’existe pas dans la réalité. C’est une croyance.
Et comme toute croyance, si vous cherchez des preuves de son existence, vous en trouverez, à vos yeux tout du moins. Et si vous vous voulez vraiment remettre la croyance en question, vous trouverez aussi des preuves son inexistence.
J’ai fini par accepter que mes crises d’angoisses n’étaient pas une fatalité que je devrais endurer toute ma vie. J’ai accepté qu’il est des choses qui parfois me font flipper.
En finir avec la peur de vivre
Quoi ? Le bonheur, la joie, la vie. Parce que j’ai grandi dans la peur de tout, de la vie, de la joie, de la maladie, de l’amour. Et que cela, c’est une connerie, une façon de vouloir se protéger pour soi disant ne pas souffrir.
J’ai compris que de refuser la vie, c’est sans doute la pire des souffrances qui puisse arriver à un être humain. Et que ces angoisses sourdes sont un rappel : putain du con, mais vit ! Profite de ces petits bonheurs que tu t’échines à construire.
Parce que, quand même, faut en tenir une couche pour se battre chaque jour dans le but de se construire une jolie vie, et fuir comme un con quand des petits bonheurs arrivent.
C’est un peu l’image de l’agriculteur qui laboure, sème, arrose, bref, fait le taf durant des mois pour finalement soit bruler la récolte, soit la laisser pourrir.
Chez de nombreuses personnes, la sensation de l’angoisse s’apaise avec au premier verre d’alcool. C’est une bonne nouvelle. Cela veut dire que la personne est proche, elle est là, et qu’il ne lui faudrait pas grand-chose pour rebasculer du bon côté.
C’est quoi pas grand-chose ? Réapprendre à se satisfaire. Un rayon de soleil, le regard d’un ami, d’un proche, un câlin, une bonne nuit de sommeil, la sensation du travail bien fait, la sensation d’avoir fait un pas, même petit, dans la bonne direction.
La satisfaction et le plaisir de vivre sont, je crois, les deux armes pour lutter efficacement et durablement contre l’angoisse et contre la peur de l’angoisse.
Et chaque jour passé sans tomber dans l’angoisse doit être vécu pleinement. Et au soir, inutile d’avoir peur, se satisfaire de cette journée, simplement cela, et peu à peu, le temps va faire son œuvre.
Il est inutile de vouloir se projeter au-delà de cette petite joie et commencer à craindre que ceci ou que cela. Tout ça ne serait que des projections, des visions. Rester là, bien ancré dans le moment, et vivre. Simplement vivre.