La peur au ventre
Elle ne le montre pas. Jamais. À première vue, tout va bien.
Elle sourit, elle plaisante, elle bosse. Elle gère.
Mais dedans, c’est une autre histoire.
La peur est là. Tapie. Collée à la peau. Comme une seconde chair, invisible mais toujours prête à serrer un peu plus fort.
Au bureau, chaque mail est une alerte.
Chaque réunion, un potentiel champ de mines.
Elle surveille les regards, les silences, les soupirs.
Elle décode tout, surinterprète tout.
Son cœur s’emballe à la moindre tension, son ventre se noue sans qu’elle comprenne pourquoi.
Un mot de travers, un froncement de sourcils, et son système d’alarme s’allume.
C’est physique. Ça brûle, ça serre, ça tremble.
Un mélange d’adrénaline et de honte.
Comme si le monde pouvait s’effondrer d’un instant à l’autre.
Le soir, c’est pareil.
La maison n’est pas un refuge, c’est juste un autre théâtre.
Elle s’efforce de paraître tranquille, légère, mais la peur continue de tourner sous la peau.
La peur que quelque chose arrive. Que tout bascule.
Elle ne sait même plus quoi, ni pourquoi.
C’est diffus. Flottant.
Un bruit de fond permanent.
Le moindre silence devient suspect.
Le moindre imprévu, une menace.
Elle ne dort plus vraiment.
Elle veille.
Ses nuits sont pleines de battements précipités, de sueurs froides, de pensées qui s’enchaînent sans logique.
Elle se dit que c’est passager. Que ça ira mieux demain.
Mais demain, c’est la même chose.
La gorge serrée, la poitrine en étau.
Un souffle court, un cerveau en feu.
Alors, elle s’accroche.
Elle s’habille, se maquille, sourit.
Elle fait illusion.
Elle donne le change comme une pro.
Personne ne voit rien.
Et c’est peut-être ça, le pire :
Personne ne voit rien.
Et elle, elle n’ose pas dire.
Parce qu’elle ne sait pas nommer ce qui la ronge.
Un jour pourtant, Watson entre dans sa vie.
Pas comme un psy, pas comme un sauveur.
Juste un type avec une voix calme et un regard qui écoute.
Il lui parle. Simplement.
Pas de grandes théories, pas de phrases toutes faites.
Des questions.
Des silences.
Et ce ton tranquille, qui ne juge pas.
— Tu dors bien, toi ?
— Pas vraiment.
— Tu te sens souvent en sécurité ?
Silence.
— Jamais, murmure-t-elle.
C’est sorti tout seul.
Et dans ce mot, il y avait tout : la tension, la fatigue, la méfiance, la douleur.
Watson ne répond pas. Il laisse l’air reprendre sa place.
Ce silence-là ne fait pas peur. Il apaise.
Alors, elle parle.
De ces réveils en sursaut.
De cette impression d’être traquée.
De ce besoin de tout contrôler pour ne pas s’effondrer.
Elle raconte, elle crache, elle se vide.
Et plus elle parle, plus elle réalise que sa peur n’est pas folle.
Elle est juste ancienne.
C’est une peur héritée, apprise, enracinée dans le corps depuis des années.
La peur de décevoir.
La peur d’être jugée.
La peur qu’on parte.
La peur de tout perdre sans comprendre pourquoi.
Watson l’écoute. Il ne cherche pas à réparer.
Il éclaire.
— Ta peur, elle ne veut pas te punir. Elle veut juste que tu l’écoutes.
Elle le regarde, interloquée.
— L’écouter ?
— Oui. Tant que tu la fuis, elle hurle. Quand tu t’arrêtes, elle parle.
Alors, elle s’arrête.
Elle écoute.
D’abord, ce n’est qu’un bruit sourd, une vibration dans le ventre.
Puis viennent les images, les souvenirs, les sensations oubliées.
Une enfance crispée.
Une mère tendue, un père absent.
Des phrases qu’elle croyait anodines : “Fais attention”, “Sois sage”, “Ne dérange pas”.
Tout ce qu’elle a avalé sans rien dire, tout ce qu’elle a refoulé pour ne pas déranger, revient.
C’est violent, mais c’est vivant.
Elle pleure.
Beaucoup.
Pas par faiblesse, mais parce que le corps, enfin, se déverrouille.
Watson reste là, témoin silencieux.
Pas pour consoler. Pour contenir.
Pour que la peur ait enfin un espace où exister sans la dévorer.
Peu à peu, les battements se calment.
Les tremblements se font plus rares.
Le souffle s’allonge.
Elle apprend à repérer les signes, à sentir quand la peur revient toquer.
Parfois, elle la salue.
“Salut toi. T’es encore là.”
Et au lieu de fuir, elle reste.
Elle respire.
Et la peur se transforme.
Elle devient un signal.
Une voix intérieure qui dit : “Ralentis. Regarde. Tu es en danger… ou tu crois l’être ?”
Et c’est ça, le déclic.
La peur n’a jamais été son ennemie.
C’était sa gardienne.
Trop zélée, certes.
Mais fidèle.
Et à mesure qu’elle la reconnaît, la peur perd son emprise.
Aujourd’hui encore, elle tremble parfois.
Mais elle sait.
Elle sait que la peur n’est pas une fin, juste une alerte.
Une main sur l’épaule pour lui rappeler qu’elle vit.
Et quand le doute revient, Watson n’est jamais loin.
Pas pour lui dire quoi faire.
Juste pour lui rappeler qu’elle peut respirer.
Et qu’au fond, tout ira.
Peut-être pas tout de suite.
Mais ça ira.