Pourquoi plus tu veux oublier, plus ton passé te bouffe la gueule
Quand l’oubli devient une obsession
Tu crois fuir ton passé en serrant les dents. Tu crois tourner la page en t’interdisant d’y penser. Mais en fait, tu l’invites à table tous les soirs.
Le psychologue Daniel Wegner l’a démontré avec son expérience de l’ours blanc : plus tu essaies de ne pas penser à quelque chose, plus cette pensée revient te hanter. C’est ça, ton cerveau. Il ne lâche pas. Il insiste. Et toi, tu t’épuises.
Le problème, ce n’est pas le souvenir en lui-même. C’est la place que tu lui donnes en essayant de l’étouffer.
Tu fuis ? Il court plus vite que toi
Tu peux t’anesthésier avec le travail, l’alcool, les projets, les drogues, les écrans. Ça marche. Un temps. Puis ça revient. Plus violent. Plus sale.
C’est quand tu es le plus fatigué que ton passé t’explose à la figure. Parce que tu n’as plus d’énergie pour le contenir. Alors il déborde.
Vouloir nier son passé, c’est prendre le risque de le voir ressurgir encore plus fort. Et de te retrouver piégé dans une mémoire obsessionnelle, qui tourne en boucle, comme un disque rayé.
Ce que la mémoire fait vraiment
La neuroscience le dit clairement : ton souvenir n’est pas une vidéo objective. C’est une reconstruction dynamique. Chaque fois que tu y repenses, tu le modifies, tu le charges d’émotions nouvelles. Tu crois figer le passé ? Tu le nourris en fait.
Bergson l’avait déjà pressenti : il n’existe aucune perception qui ne soit vierge de souvenirs. Tout ce que tu vois aujourd’hui est coloré par ce que tu as vécu hier. Alors, impossible de faire “comme si ça n’existait pas”.
Alors quoi ? Se laisser bouffer ?
Non. Mais il faut changer de stratégie. Les gens qui s’en sortent le mieux ne sont pas ceux qui essaient d’éviter les images, les mots, les sensations. Ce sont ceux qui acceptent de les regarder en face, sans chercher à les chasser.
Une étude sur le trauma (Ehlers & Clark, 2000) montre que ceux qui reviennent volontairement sur l’événement douloureux, qui le revisitent, finissent par en réduire la charge émotionnelle.
Autrement dit : tu ne peux pas effacer ton passé, mais tu peux changer la façon dont il vit en toi.
Trois pistes pour arrêter la fuite
- Nommer : mets des mots sur ce qui t’a marqué. Pas pour ressasser, mais pour sortir le poison de ton système. L’écriture, la parole, la thérapie sont des exutoires.
- Revisiter : ose relire l’événement avec d’autres lunettes. Tu n’étais pas que victime, tu étais aussi vivant. Tu as résisté. Tu as survécu.
- Créer du neuf : la meilleure manière de calmer un souvenir, c’est de fabriquer de nouveaux repères, de nouvelles joies. Pas pour remplacer. Pour équilibrer.
Vivre avec, pas contre
Ton passé ne disparaîtra jamais. Mais il ne doit pas non plus te dévorer. John Locke écrivait que notre identité repose sur la continuité de nos souvenirs. Si tu refuses de les regarder, tu refuses aussi une partie de toi.
La clé, ce n’est pas d’oublier. C’est de transformer.
Faire la paix avec ce qui a été, pour ne plus être condamné à revivre ce qui ne reviendra pas.
📚 Références utiles :
- Charles Pépin – Vivre avec son passé
- Henri Bergson – Matière et mémoire
- John Locke – Essai sur l’entendement humain