« Rien n’est véritablement bon ou mauvais en soi » : comment apprivoiser son esprit
Quand Spinoza rencontre la psychologie moderne
Spinoza, il y a plus de trois siècles, posait cette bombe : « Rien n’est véritablement bon ou mauvais en soi ; c’est l’esprit qui rend les choses ainsi ». En clair : un événement est neutre. C’est notre mental qui le colore, qui y projette du sens, du danger, de la honte ou de la valeur.
Aujourd’hui, la psychologie a confirmé cette intuition. Les émotions surgissent comme des réactions automatiques du corps. Mais c’est l’interprétation que nous leur donnons qui crée la souffrance ou la paix. Une pensée devient un gouffre non pas par son existence, mais par la façon dont nous nous y accrochons.
L’émotion : neutre, mais puissante
🌊 La vague et le surfeur
Prenons un exemple simple : la peur.
La peur, en soi, est une émotion neutre. Elle est là pour signaler un danger. Mais si ton esprit s’en empare, il peut transformer cette peur en panique paralysante, en spirale de catastrophes imaginaires.
C’est comme une vague. La vague est là, brute. Tu peux choisir de la subir et te noyer… ou apprendre à surfer.
Les neurosciences confirment : selon Joseph LeDoux (NYU), spécialiste des mécanismes de la peur, le cerveau émotionnel réagit avant même que la conscience ait compris. L’émotion est instantanée. Mais la pensée, elle, décide si on reste prisonnier ou si on reprend la main.
Pourquoi ton esprit colore tout en sombre
🌪️ Le biais du négatif
Notre cerveau est programmé pour repérer les dangers. C’est le fameux biais de négativité : un seul commentaire blessant pèse plus lourd que dix compliments. Une rupture laisse plus de traces qu’une dizaine de beaux souvenirs.
Claire le vit chaque jour. Elle peut avoir une journée « correcte », mais si son conjoint lâche une remarque glaciale le soir, c’est tout ce qu’elle retiendra. Non pas parce que c’est « plus vrai », mais parce que son esprit a amplifié cette émotion et lui a donné un sens disproportionné : « Je ne suis jamais assez bien. »
Alors, comment reprendre la main ?
🛤️ Trois leviers pour apprivoiser son esprit
1. Nommer ce qui se passe 📝
Une émotion non nommée grossit. L’APA (American Psychological Association) a montré que mettre des mots sur une émotion réduit son intensité. Dire : « Je suis en colère », « J’ai peur », « Je me sens honteuse » permet déjà de reprendre un peu de distance.
👉 Premier pas concret : écris chaque soir trois émotions ressenties dans la journée, sans jugement.
2. Distinguer l’événement de l’interprétation 🔍
Spinoza avait raison : ce n’est pas l’événement en soi, mais ce que tu en fais. Par exemple : « Mon collègue n’a pas répondu à mon mail ».
- Fait brut : pas de réponse.
- Pensée ajoutée : « Il me méprise ».
👉 Exercice : chaque fois que tu sens monter l’angoisse, note : « fait brut » / « interprétation ». Tu verras la différence.
3. Créer une respiration intérieure 🌬️
Les études en psychologie positive (notamment celles de Barbara Fredrickson, 2009, Positivity) montrent que les micro-moments de calme créent un espace mental qui permet de ne pas être submergé. Ça peut être une respiration consciente, une balade, une musique.
👉 Exercice : prends 3 minutes dans ta journée. Inspire profondément, bloque, expire longuement. Répète. Ça paraît dérisoire, mais c’est un moyen concret de reprendre le volant.
Témoignage : quand la vérité intérieure libère
🌱 Le cas de Séverine
Séverine (prénom changé) avait grandi dans la peur, les jugements, les angoisses nocturnes. Chaque regard, chaque silence, elle l’interprétait comme une condamnation. Résultat : son esprit construisait une prison invisible.
En séance, elle a appris à faire la distinction. Son mari qui rentre silencieux ? Fait brut : il est silencieux. Pensée ajoutée : « Il m’en veut ». Quand elle a commencé à séparer l’un de l’autre, son quotidien s’est allégé. Les émotions étaient toujours là. Mais elles ne dictaient plus toute sa vie.
Le piège : croire qu’on peut contrôler ses émotions
⚠️ Accepter au lieu de lutter
Tu ne peux pas empêcher une émotion de surgir. Spinoza l’avait déjà noté : la raison est assujettie aux passions. Mais tu peux décider de ne pas la laisser diriger ton présent.
Un psychologue comme Jon Kabat-Zinn (créateur du programme MBSR) le répète : la pleine conscience n’éteint pas les émotions, elle les rend vivables.
👉 Ta mission n’est pas de dominer ton esprit comme un dictateur, mais de dialoguer avec lui. De dire : « Ok, j’ai peur. Mais je ne suis pas ma peur. »
Reprendre la main : une question de choix
🧭 Liberté intérieure
Reprendre la main, ce n’est pas effacer les pensées sombres. C’est choisir ce que tu en fais. Comme le dit Viktor Frankl : « Celui qui a un pourquoi peut endurer presque n’importe quel comment ».
- Soit tu laisses tes pensées t’entraîner.
- Soit tu décides de les voir pour ce qu’elles sont : des constructions de ton esprit, pas des vérités absolues.
C’est ça, la liberté intérieure dont parlait Spinoza : vivre sans être l’esclave de ses passions, penser et agir de façon autonome.
Concrètement, demain matin…
- Quand une émotion surgit, arrête-toi 10 secondes. Respire.
- Note ce que tu ressens, sans jugement.
- Demande-toi : quel est le fait brut ?
- Décide consciemment de la place que tu donnes à cette émotion.
Répète. Jour après jour. Ce n’est pas magique. Mais c’est un entraînement. Et comme tout entraînement, il transforme.
Ton esprit n’est pas ton ennemi
L’esprit colore tout, oui. Mais il n’est pas ton bourreau. Il est ton outil.
Ton rôle n’est pas de fuir tes pensées, mais de les apprivoiser.
Tu n’es pas tes émotions. Tu es celui qui choisit quoi en faire.
Et peut-être que là, tu touches enfin ce que voulait dire Spinoza :
La liberté, ce n’est pas un monde sans douleur.
C’est un monde où la douleur ne décide plus pour toi.