Pourquoi désire-t-on toujours autre chose ?
Tu l’as déjà vécu : tu désires quelque chose, tu t’y accroches, tu projettes ton énergie dessus. Puis, le jour où tu l’obtiens, la joie est là… mais elle ne dure pas. Très vite, un vide s’installe, un nouvel objet de désir apparaît. Et le cycle recommence. Schopenhauer l’avait bien vu : la vie oscille entre la souffrance du désir et l’ennui de l’avoir satisfait.
Et si ce n’était pas seulement une fatalité personnelle, mais une mécanique universelle ? René Girard enfonce le clou : souvent, ce que nous désirons ne vient pas vraiment de nous, mais des autres. Nous désirons par mimétisme, par comparaison, par jalousie sociale.
Alors pourquoi sommes-nous condamnés à désirer toujours autre chose ?
1. Schopenhauer : le cycle infini du désir et de l’ennui
😔 Une vie entre manque et lassitude
Schopenhauer est radical : pour lui, le désir est souffrance. Tant que tu n’as pas ce que tu veux, tu souffres du manque. Une fois que tu l’as obtenu, l’excitation se dissipe, laissant place à l’ennui. Et pour combler cet ennui, tu désires autre chose. Cercle sans fin.
C’est violent, mais regarde ton quotidien :
- Tu veux une promotion → tu l’obtiens → tu rêves déjà de la suivante.
- Tu veux une nouvelle voiture → tu l’achètes → au bout de six mois, tu lorgnes le modèle au-dessus.
- Tu veux être reconnu → on te félicite → mais ça ne suffit jamais, tu attends encore plus de validation.
👉 Ce cycle épuise, parce qu’il crée un décalage permanent entre le présent et l’avenir. Tu vis dans l’attente de ce qui vient, sans jamais goûter ce qui est.
2. René Girard : le désir mimétique
🔄 Nous ne désirons pas seuls
Girard introduit une idée dérangeante : nos désirs ne sont pas originaux. Nous désirons parce que les autres désirent. On ne désire pas un objet pour lui-même, mais parce qu’il est désiré par autrui.
Exemple simple :
- Une maison a plus de valeur à tes yeux parce que d’autres la convoitent.
- Une carrière devient désirable quand tu vois qu’elle suscite admiration et respect.
- Même dans tes projets personnels, tu compares inconsciemment ce que tu veux à ce que les autres semblent avoir.
Girard parle alors de jalousie sociale : nous nous définissons moins par ce que nous voulons que par ce que nous voulons “comme les autres”.
👉 Conséquence : plus la société valorise un objet, un statut, une image… plus ton désir grandit. Mais est-ce encore ton désir ?
3. Pourquoi le désir se déplace toujours
⚖️ Un mécanisme psychologique universel
Schopenhauer et Girard se rejoignent sur un point : le désir ne se satisfait jamais durablement.
- Schopenhauer montre la fuite en avant (désir → satisfaction → ennui → nouveau désir).
- Girard explique que ce nouveau désir est souvent calqué sur celui des autres.
Le désir se déplace pour deux raisons :
- Notre cerveau fonctionne à la dopamine. Dès que l’objet est atteint, le niveau retombe. On a besoin d’un nouveau stimulus.
- Notre identité est en quête constante de reconnaissance. Obtenir ce qu’on voulait ne suffit pas : on cherche à maintenir une image valorisée par les autres.
👉 Résultat : nous courons sans fin, persuadés que “la prochaine fois” sera la bonne. Mais la prochaine fois ressemble étrangement à la précédente.
4. Comment se libérer de cette course ?
🛠️ Trois pistes philosophiques et concrètes
- Spinoza : comprendre son désir.
Distinguer un désir qui vient de toi d’un désir calqué sur autrui. Demande-toi : si personne ne me voyait, est-ce que je voudrais encore ça ? - Nietzsche : élever son désir.
Ne pas supprimer le désir (ce serait mutiler la vie), mais choisir des désirs qui t’élèvent : créer, bâtir, explorer, apprendre. Pas juste consommer ou imiter. - Épicure : simplifier ses désirs.
Classer ses désirs entre naturels / nécessaires et artificiels / illimités. Se concentrer sur les premiers (amitié, liberté, sécurité), et ne pas se perdre dans les seconds (statut, comparaison, accumulation).
👉 Action activable : cette semaine, note chaque soir le désir qui a guidé ta journée. Puis coche : était-ce un désir vraiment tien, ou celui d’un autre ? Juste ce petit exercice t’apprendra déjà à déceler tes chaînes invisibles.
Conclusion : le désir, force ou fuite ?
Le désir n’est pas mauvais en soi. Sans lui, pas de mouvement, pas de transformation, pas de motivation. Mais quand il devient fuite en avant, quand il est calqué sur les autres, il t’enferme dans une vie où rien ne suffit jamais.
Schopenhauer avait raison : désirer, c’est souffrir. Girard avait raison : nos désirs sont rarement “purs”. Mais Nietzsche et Spinoza te donnent une clé : comprendre, orienter et choisir tes désirs.
Au fond, la vraie liberté, ce n’est pas d’arrêter de désirer. C’est de savoir ce que tu désires vraiment, et pourquoi.



