Santé mentale : et si on allait trop loin ?
Aujourd’hui, t’as plus besoin d’aller bien.
T’as juste besoin de savoir le raconter.
Oui, enfin, on en parle. Et putain, c’était pas trop tôt.
Pendant des décennies, il fallait serrer les dents, faire comme si.
Faire bonne figure, continuer à avancer, même à bout.
Exprimer son mal-être, c’était déjà perdre. Faiblir. Tomber dans le camp de ceux qui “n’ont pas la force”.
Aujourd’hui, dire qu’on va mal, c’est un acte de courage.
Un pas immense pour l’humanité. Un soulagement pour beaucoup.
Mais à force de libérer la parole… est-ce qu’on ne l’a pas un peu déformée ?
Dissection honnête.
Sans caresse.
Mais avec respect.
1. Enfin, on en parle. Et putain, c’était pas trop tôt.
Pendant trop longtemps, la santé mentale, c’était le sujet honteux.
Ce qu’on cachait.
Ce qu’on planquait dans les placards familiaux.
Ce qu’on traitait à coup d’isolement ou de médocs, sans jamais poser de mots.
On a confondu résilience et mutisme.
Force et négation de soi.
Et la souffrance, on l’a laissée moisir dans les caves du silence.
Aujourd’hui, dire “je vais mal”, c’est une avancée sociale.
C’est briser une chaîne.
Et ça, il faut le célébrer.
Le simple fait de pouvoir dire qu’on a besoin d’aide, c’est un acte de transformation.
La psychologue Kristin Neff, spécialiste de l’auto-compassion, rappelle que reconnaître sa souffrance est le premier pas vers l’humanité partagée. Ne pas aller bien n’est plus une tare. C’est une vérité. Une réalité. Un point de départ.
Mais à force de parler… certains ont transformé la douleur en vitrine.
2. Quand la souffrance devient une posture
Petit à petit, un glissement s’est opéré.
À force de dire que c’est important d’en parler…
Certains ont compris qu’il suffisait d’en parler pour exister.
La douleur est devenue un étendard.
Un truc qu’on montre, qu’on exhibe, qu’on brandit.
Et plus c’est noir, plus c’est “respecté”.
Tu dis que tu vas bien ? On te regarde de travers.
Tu fais des efforts pour aller mieux ? On te soupçonne de nier.
Tu exprimes ta joie ? On te reproche d’être “hors-sol”.
Et dans cette ambiance, une nouvelle équation toxique s’installe :
Souffrir = légitimité. Aller bien = superficialité.
Tu veux qu’on t’écoute ? Montre à quel point tu vas mal.
Tu veux avoir le droit de parler ? Montre que tu touches le fond.
On ne parle plus d’émotion.
On parle de stratégie.
Et ça, c’est dangereux.
3. Appel à l’aide ou manipulation affective ?
C’est là que ça se complique.
Comment distinguer un vrai appel au secours… d’une prise d’otage émotionnelle ?
Dire “je vais mal, j’ai besoin de parler”, c’est sain.
C’est courageux.
C’est vital.
Mais dire “je vais mal, donc j’ai raison, donc tais-toi”, c’est autre chose.
C’est une arme de défense, parfois de domination.
Et c’est humain. Mais c’est piégeux.
La souffrance ne rend pas juste.
Elle rend souvent brutale.
Et elle peut vite devenir une façon de fuir la responsabilité, le changement, le mouvement.
Le psychologue Marshall Rosenberg, père de la Communication Non Violente, l’écrit clairement :
“Les jugements sont l’expression tragique de besoins non satisfaits.”
Tragique, oui. Parce qu’à force de tout ramener à notre douleur…
On finit par ne plus voir celle des autres.
4. Et ceux qui ne disent rien ?
On les oublie.
Dans le vacarme des posts Instagram, des stories “burn-out jour 3”, des vidéos face-cam avec tremblement de voix calibré.
Ceux qui souffrent en silence, sans les mots.
Ceux qui n’osent pas parler parce qu’ils ne veulent pas déranger.
Ceux qui ont appris, très tôt, que se taire, c’était survivre.
Le danger aujourd’hui, c’est de confondre visibilité et légitimité.
Ce n’est pas parce que tu racontes ta détresse que tu souffres plus fort.
Et ce n’est pas parce que tu n’as rien dit… que tu ne vis rien.
Beaucoup se demandent s’ils ont “le droit” d’aller mal, parce qu’ils n’ont “rien de grave”.
Mais c’est quoi, “grave” ? Qui décide ?
Ta douleur est réelle. Même si elle n’a pas de hashtags.
5. Revaloriser la parole… sans sacraliser la plainte
Parler, c’est précieux.
Mais poser un cadre, c’est essentiel.
Soutenir, ce n’est pas se sacrifier.
Écouter, ce n’est pas tout tolérer.
Il faut oser dire à quelqu’un :
“Je t’entends. Et je suis là. Mais je ne peux pas porter ça pour toi.”
On peut accueillir une détresse… sans en faire une identité.
On peut valider la souffrance… sans l’ériger en trône.
Notre rôle, ce n’est pas de maintenir les autres dans la plainte.
C’est de les aider à se relever, même bancals, même fatigués, même en vrac.
Ce n’est pas une course au mieux-être.
Mais une invitation à se remettre en mouvement.
À retrouver un peu de liberté intérieure.
À refaire un pas, même minuscule.
6. La santé mentale mérite mieux que ça
On ne soigne pas une société en lui apprenant à pleurer plus fort.
On la soigne en lui redonnant la force de se tenir debout.
Pas parfaite.
Pas lumineuse.
Juste debout.
Même si t’as flanché.
Même si tu te lèves tremblant.e chaque matin.
Même si le sourire est forcé et les larmes pas loin.
La santé mentale, c’est pas un badge.
C’est un enjeu collectif. Un espace d’humanité.
Un lieu où on peut dire, ressentir, demander…
Mais aussi choisir de changer, de bouger, de vivre.
Parce que tu mérites mieux qu’une existence figée dans le drame.
Tu mérites une vie pleine, pas juste une histoire triste bien racontée.
Pour aller plus loin :
Études :
- “La souffrance psychique dans la société moderne”, revue Santé mentale, 2020
- Kristin Neff, L’auto-compassion : Le pouvoir de se traiter avec bienveillance
- Marshall Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs)
Livres utiles :
- Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur
- Christophe André, Imparfaits, libres et heureux
- Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi
Souviens-toi :
la vulnérabilité n’est pas une mise en scène.
C’est une autorisation.
À vivre.
À dire vrai.
Et à continuer.