Comment arrêter de remplir ton vide avec ta carte bleue

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L’achat compulsif : Enquête sur ce trou noir que tu essaies de remplir avec ta carte bleue

Remplir ton vide en vidant ton compte en banque ? Vraiment ?

Tu connais cette scène par cœur. Il est 22h30, la maison est enfin calme. Les enfants dorment, la vaisselle est rangée, le silence s’installe. Et là, sur le canapé, ton téléphone à la main, tu scrolles. Sans but précis au début. Et puis, tu tombes dessus. Ce petit pull pour le dernier, cette lampe qui irait parfaitement dans l’entrée, ou ce gadget d’organisation qui promet de “simplifier ta vie”.

Ton pouce survole le bouton “Ajouter au panier”. Tu sens cette petite montée d’adrénaline ? Ce frisson presque imperceptible ? C’est le moment clé. Le moment où tu ne penses plus à rien. Tu valides. Paiement accepté.

Et là, un immense soupir de soulagement.

Pendant quelques secondes, tout va mieux. Tu as l’impression d’avoir géré quelque chose. D’avoir pris le contrôle. Mais soyons honnêtes : le lendemain matin, quand tu recevras la confirmation d’expédition, ce soulagement aura disparu, remplacé par une vague culpabilité ou, pire, une indifférence totale.

Je ne suis pas là pour te parler de ton budget ou te faire la morale sur la surconsommation. Ce n’est pas le sujet. Mon rôle d’enquêteur, c’est de regarder ce qui se passe juste avant que tu ne cliques.

Parce que ce que tu achètes à ce moment-là, ce n’est pas un objet. C’est un anesthésiant.

1. Le mobile du crime : La dopamine comme refuge

Regardons les faits froidement. Ton cerveau est une machine formidable, mais il est aussi un peu accro. Quand tu te sens fatigué.e, vidé.e, ou anxieux.se, ton système d’alarme interne se déclenche. Tu ressens un inconfort. Ce n’est pas forcément une douleur aiguë, c’est plutôt un bruit de fond désagréable, une sorte de grésillement émotionnel.

L’acte d’achat déclenche une libération immédiate de dopamine. C’est chimique. C’est le shoot de la récompense.

Dans mon enquête sur les comportements humains, j’ai souvent observé ce mécanisme chez ceux qui portent une charge mentale écrasante. Acheter devient la seule façon rapide et accessible de se dire : “Je me fais du bien” ou “Je prends soin de mon nid”.

Mais il y a une nuance importante que nous devons examiner.

  • Tu ne cherches pas à posséder l’objet. Si c’était le cas, la satisfaction durerait des mois.
  • Tu cherches l’acte d’acquisition. C’est le mouvement, la validation, le sentiment de pouvoir qui t’apaisent.

C’est comme si tu mettais un pansement sur une hémorragie interne. Ça cache la plaie, mais ça ne l’arrête pas. Ce que tu fuis, c’est souvent ce moment de vide, le soir, où tu te retrouves face à toi-même.

Si tu n’achètes pas, tu dois penser. Et penser, quand on est épuisé.e, c’est dangereux. Ça risque de faire remonter des questions qu’on préfère laisser sous le tapis : “Est-ce que je suis heureux.se ?”, “Pourquoi je me sens si seul.e alors que je suis entouré.e ?”.

La carte bleue devient alors ton gilet de sauvetage. Elle te permet de rester à la surface, de ne pas plonger dans tes propres eaux troubles.

2. Le suspect principal : L’intolérance au vide

J’ai travaillé avec une cliente, appelons-la Valérie (pour respecter son anonymat, comme toujours). Valérie était la reine de l’organisation. Sa maison ressemblait à un catalogue. Dès qu’elle sentait une angoisse monter, elle filait dans un magasin de décoration ou de bricolage. Elle achetait des boîtes de rangement, des paniers, des étagères.

Elle me disait : “J’aime quand tout est carré, ça m’apaise.”

En creusant un peu, en menant l’enquête avec elle, nous avons découvert une autre vérité. Valérie ne cherchait pas à ranger sa maison. Elle cherchait à contenir le chaos qu’elle ressentait à l’intérieur. Sa vie de couple partait en lambeaux, elle ne s’épanouissait plus au travail, mais elle était incapable de l’admettre. Alors, elle “rangeait”. Elle achetait des contenants pour ses émotions, espérant que si l’extérieur était parfait, l’intérieur finirait par se calmer.

C’est ce que j’appelle le syndrome du frigo vide.

Pour beaucoup, un frigo vide ou un placard vide est synonyme de danger, de manque, de mort symbolique. Il faut remplir. Remplir l’agenda, remplir l’estomac, remplir les placards.

Le vide nous terrifie parce qu’il nous oblige à ressentir.

Or, quand on vit en mode survie, comme c’est le cas pour 95% des personnes que je croise, ressentir est un luxe qu’on pense ne pas pouvoir se payer. On préfère l’agitation du livreur qui sonne à la porte. C’est un événement. Ça brise la banalité. Ça donne l’impression qu’il se passe quelque chose de “nouveau”.

Mais ce “nouveau” n’est qu’un leurre. C’est une distraction pour ne pas voir que l’essentiel, lui, ne bouge pas.

3. L’alibi parfait : “C’est pour la maison” ou “C’est pour les enfants”

C’est ici que l’enquête devient délicate, car nous touchons à tes justifications les plus solides. Celles qui te permettent de ne pas culpabiliser.

Tu n’achètes pas des vêtements de luxe pour toi (ce serait égoïste, penses-tu). Non, tu achètes :

  • Des livres éducatifs pour le petit dernier.
  • De la nouvelle vaisselle pour recevoir “quand on aura le temps”.
  • Des vêtements en solde pour l’année prochaine.

C’est l’alibi du bon gestionnaire.

Tu te racontes une histoire : “Je suis prévoyant.e”, “Je suis une bonne mère / un bon père”, “Je gère mon foyer”. Cet alibi est redoutable parce qu’il est socialement validé. Personne ne te reprochera d’investir pour ta famille.

Pourtant, regardons les indices de plus près. Est-ce que tes enfants avaient vraiment besoin de ce quatrième jeu de société ? Est-ce que cette nappe était vitale ?

Souvent, ces achats sont une manière de compenser une absence émotionnelle ou une fatigue. Tu es peut-être trop épuisé.e pour jouer avec eux au sol pendant une heure, alors tu achètes un jouet. Tu es peut-être trop lassé.e de ton quotidien pour organiser un vrai dîner, alors tu achètes de la vaisselle pour te donner l’illusion que tu vas le faire.

Tu achètes la version fantasmée de ta vie pour ne pas avoir à vivre la version réelle, qui te semble parfois trop terne.

Tu essaies de colorier une réalité qui te semble grise. Mais le problème, c’est que l’objet arrive, et la réalité reste la même. Tu te retrouves juste avec un carton de plus à recycler et un compte en banque un peu plus léger. Et le vide, lui, est toujours là, intact.

4. La gueule de bois morale : Quand le colis arrive

C’est une scène de crime inversée. Le crime a eu lieu hier soir, dans le silence de ton salon. Mais la preuve, elle, n’arrive que 48 heures plus tard, souvent quand tu es en plein rush, entre le bain du petit et le dîner à préparer.

La sonnette retentit. Le livreur te tend ce carton.

Et là, ce n’est plus de la dopamine qui inonde ton cerveau. C’est du cortisol. C’est la gueule de bois morale.

Tu ouvres le paquet. L’objet est là. Une robe, un gadget, un énième carnet. Hier soir, sur ton écran rétro-éclairé, il brillait. Il promettait une vie plus organisée, plus belle, plus douce. Aujourd’hui, sous la lumière crue de la cuisine, ce n’est qu’un objet. Inerte. Froid.

C’est à ce moment précis que la culpabilité s’installe, lourde et gluante.

Pourquoi cette culpabilité est-elle si violente ? Parce que cet objet est la preuve physique de ta “faiblesse” d’un soir. Il te renvoie en plein visage ce que tu voulais fuir :

  1. L’illusion perdue : Tu réalises que l’achat n’a pas changé ta vie. Tu es toujours toi, avec ta fatigue et tes doutes, juste avec 50 euros en moins sur le compte. Spinoza le disait déjà : après le désir assouvi, vient souvent la tristesse.
  2. Le jugement intérieur : Cette petite voix impitoyable qui se réveille : “Tu n’en avais pas besoin”, “Tu es incapable de te tenir”, “Encore de l’argent jeté par les fenêtres”. Tu te juges bien plus sévèrement que n’importe quel tribunal.
  3. La dissimulation : Combien de fois as-tu jeté le carton en vitesse pour que ton conjoint ne le voie pas ? Ou pire, combien de fois as-tu caché l’objet au fond d’un placard, avec l’étiquette encore dessus, pour ne pas avoir à justifier son existence ?

Ce colis n’est pas un cadeau que tu t’es fait. C’est un reproche que tu t’es envoyé par la poste.

Mais écoute-moi bien : cette culpabilité est inutile. Elle ne te rendra pas l’argent. Elle ne te rendra pas plus fort.e. Au contraire, elle creuse ce fameux vide intérieur que tu chercheras à remplir… par un nouvel achat la semaine prochaine.

Accepte le carton. Regarde-le pour ce qu’il est : une tentative maladroite, mais humaine, de te faire du bien. Pardonne-toi d’avoir cherché du réconfort là où il n’y en avait pas. Et si tu le peux, renvoie-le. Non pas pour te punir, mais pour te prouver que tu es capable de revenir en arrière, que le clic d’hier ne définit pas qui tu es aujourd’hui.

La reconstitution : Comment sortir de la boucle ?

Si tu te reconnais dans ce portrait, ne te juge pas. C’est la première étape. La culpabilité est un moteur puissant pour… recommencer à acheter (pour se consoler de se sentir coupable). Cercle vicieux.

Voici des pistes concrètes pour mener ta propre contre-enquête la prochaine fois que ton pouce survole le bouton “Payer” :

1. La garde à vue de 48 heures

C’est une technique classique mais redoutable. Tu as le droit de remplir ton panier. Fais-le. Mets-y tout ce que tu veux. C’est ta zone de décompression. Mais interdis-toi de valider avant 48 heures.

Pourquoi ? Parce que la dopamine va redescendre. L’émotion d’urgence va s’évaporer. Deux jours plus tard, tu regarderas ce panier avec lucidité. Souvent, tu te diras : “Mais pourquoi je voulais acheter ça ?”. Tu auras dissocié l’impulsion de l’action.

2. L’interrogatoire du “Pourquoi”

Juste avant de craquer, pose-toi cette question, non pas sur l’objet, mais sur ton état : “Qu’est-ce que je ressens là, tout de suite, qui me donne envie de cliquer ?”

  • Est-ce que je m’ennuie ?
  • Est-ce que je suis en colère ?
  • Est-ce que je me sens seul.e ?
  • Est-ce que j’ai l’impression d’avoir subi ma journée ?

Nommer l’émotion, c’est souvent la désamorcer. Si tu réalises que tu achètes parce que tu te sens seul.e, tu comprendras vite que le livreur ne comblera pas cette solitude.

3. Réapprivoiser le vide

C’est le plus dur, mais le plus libérateur. Essaie, petit à petit, de ne rien faire. De t’asseoir sur ce canapé sans téléphone. De regarder ton salon tel qu’il est. De ressentir la fatigue sans chercher à la masquer.

Au début, c’est vertigineux. Ça gratte. Mais si tu restes un peu, tu verras que le vide n’est pas une menace. C’est un espace. Et c’est dans cet espace, quand on arrête de le remplir avec du bruit et des objets, que l’on peut enfin commencer à s’entendre penser.

C’est peut-être ça qui fait peur, au fond. Mais c’est aussi là que se trouve la paix que tu cherches. Pas dans le carton Amazon, mais dans le silence qui suit, une fois que tu as décidé de ne pas le commander.

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auteur stephane briot
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